samedi 11 juillet 2009

Belle-Maman (nouvelle)

"Belle-maman"

- Vous savez, mon Marcus a toujours été un garçon très timide.

- Maman…
(soupir de l’intéressé)

- Quoi ? Je n’ai pas le droit de discuter avec ta petite fiancée ? Il faut bien qu’on fasse un peu connaissance quand même !
(Re-soupir de Marcus)

- Donc je disais, mon garçon a toujours été timide. Tenez, déjà à la naissance, il avait avalé sa langue. Les médecins ont dû taper dans son dos tellement fort que le pauvre petit en a eu une marque pendant quinze jours. Après ça, il a toujours eu du mal à ouvrir la bouche pour parler.
En tout cas je suis bien contente qu’il vous ait rencontré. Vous avez l’air d’une gentille fille. Tiffany, c’est ça ? Un très joli prénom, très doux. C’est pas comme la dernière que tu m’as ramenée. C’était quoi déjà son nom ?

-Bérangère.

-Ah oui, Bérangère. On se demande parfois où les parents vont chercher des prénoms pareils. Enfin. Vous vous êtes là et c’est tout ce qui compte. (Une pause). Tenez reprenez un peu de ma tarte au citron vous m’en direz des nouvelles. (S’adressant à son fils). Marcus, aide-la un peu, tu veux. Alors qu’est-ce que vous en pensez ?

-Mmm. Fit Tiffany

-Aaah, je savais bien qu’on allait s’entendre.

-Je monte à la cuisine. Dit Marcus en se levant de sa chaise.

-C’est ça. Laisse-nous entre femmes.

(Il monte les escaliers.)

-Nan, vraiment je suis bien contente qu’il soit tombé sur vous. Je suis certaine que vous allez l’aider à sortir de sa coquille. Petit, il pouvait rester enfermé des heures dans son placard sans rien dire. Il s’amusait avec les chats pendant une journée entière et bien souvent, on l’oubliait. Et puis, il avait peur de tout. Alors quand il a fallu le faire partir à l’école, ça a pas été de la tarte, croyez-moi. Avec mon défunt mari, on avait réussi à retarder un peu l’échéance. Mais bon, le médecin de famille y a mis son grain de sel et nous a fait comprendre que si on l’envoyait pas à l’école, il allait prévenir les services sociaux. J' vous jure… (Elle secoue la tête.) S’il s’en était pas mêlé c’est sûr que mon Marcus, il aurait été plus heureux. Mais on n’a pas eu le choix. Je le revois encore s’agripper aux barreaux de son lit au moment de partir le matin. Il poussait des cris… Ca me brisait le cœur. Il faut dire que les enfants ont été très cruels avec lui. Surtout les filles. Toujours à l’embêter, à le poursuivre dans la rue.

Après la mort de mon époux, Marcus et moi, on a vécu tous les deux ici dans cette maison. On était bien. On avait besoin de personne. Un jour, vers ses seize ans, il m’a dit « Maman, on peut pas rester comme ça. On n’a plus de sous et on arrive à peine à avoir de quoi manger. Il faut que l’un de nous travaille. » Le cher petit ange… Il avait son idée et au bout d’une semaine il a trouvé un travail à l’abattoir de la ville. Aujourd’hui, il a fait du chemin. Il est devenu chef équarrisseur. C’est qu’il est bosseur mon petit. Sérieux et tout ! Avec lui, pas de congés maladies, pas de pannes de réveil, pas de dépressions chroniques. Il abat du boulot comme personne. Et puis méticuleux avec ça ! Vous verrez, il est formidable au travail !

Par contre il est resté timide avec les filles. Il en a peur comme d’une maladie contagieuse. Je dois être la seule femme au monde à l’avoir embrassé sur la joue. Heureusement avec Internet aujourd’hui, les rencontres se font plus facilement pour les personnes comme lui. On discute un peu, on se voit et puis hop ! C’est parti ! C’était pas comme ça de mon temps… Enfin toujours est-il qu’il a pu se sortir un peu de son enfermement. Bon je peux vous l’avouer, vous n’êtes pas la première qu’il me présente. Mais il faut dire qu’il est tellement perfectionniste. Forcément avec la mère extraordinaire qu’il a !

(La vieille rit.)

- Sans rire, il a beaucoup cherché avant de vous trouver !

(Une pause.)

-Allez, c’est pas que je m’ennuie mais je vais devoir vous laisser. Y’a mon feuilleton qui commence dans pas longtemps. Et puis il fait vraiment froid dans cette cave, vous ne trouvez pas ? Ne vous inquiétez pas. Je vous l’ai dit, il manie ses outils comme personne. Je l’ai vue faire une fois.

Avec Bérangère, là. C’était impressionnant. La tête de la fille est tombée nette en une seule fois. Du travail de pro, vraiment. Pour vous, ce sera différent. Il veut vous garder pour lui. Allons, allons. Arrêtez de remuer comme ça. Vous allez vous faire du mal ! Et puis de toute façon, ça ne sert à rien. Tous les jours, il maîtrise des bêtes qui doivent faire au moins vingt fois votre poids. Alors ce n’est pas en gigotant comme ça sur votre chaise que vous allez arranger quoique ce soit. Et puis, il n’y a pas de quoi paniquer. Je vous l’ai dit, ce sera sans bavure. Vous allez vous endormir et quand vous vous réveillerez, vous aurez l’impression qu’il ne s’est rien passé. J’ai lu dans le journal avant-hier l’histoire de cet ouvrier là qui était tombé de son échafaudage. Vous savez celui à qui on avait dû couper les deux jambes, il y a quelques mois. Et ben, il disait que quand il y avait des courants d’air, il sentait encore le vent lui chatouiller les cuisses. C’est fou, non !
Ensuite, une fois que Marcus en aura fini avec vos jambes, il s’occupera de vos bras. De toute façon, vous n’en n’aurez plus besoin. On sera là pour prendre soin de vous.

(Elle se rapproche et dit d’une voix douce)

- Vous savez, s’il fait tout ça c’est pour vous garder toujours près de lui. C’est son côté romantique. Et puis il ne faudrait pas que vous alliez vous mettre en danger en sortant de la maison. C’est plein de mauvaises gens là dehors.

(Des pas dans l’escalier)

- Tenez, le voilà qui descend. Allez, je vous laisse.
A plus tard !
FIN

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